Portrait-robot des généalogistes: Oui, mais jusqu’où ?

Récemment j’ai reçu le n°197 de la Revue Française de Généalogie et j’ai notamment trouvé intéressant l’article nommé « Portrait-robot des généalogistes » qui évoque l’enquête commandée par genealogie.com à l’anthropologue Dominique Desjeux.

Je n’étais pas du tout au courant de cette recherche. Il faut dire que je débarque… du Maroc où j’étais quelque peu coupé du monde et surtout de la généalogie. Alors que je pensais simplement écrire à propos de cet article et de cette enquête, j’ai pu voir qu’une polémique avait enflé à son propos. Un édito de Vosges Matin, sans grand intérêt, arguant que le généalogiste a une addiction à sa passion comme Barney et l’alcool (ou l’autre Barney et les demoiselles).

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Barney, un généalogiste qui s’ignore?

Il est dommage qu’un journaliste évoque un sujet qu’il ne connait visiblement pas à partir d’une étude qu’il n’a pas dû lire attentivement ; mais il est malheureusement fréquent de lire des articles de journalistes n’ayant pas lu une étude ou un ouvrage (sur ce point, j’en ai eu la preuve ce matin même en lisant un ecritique d’Atlas Shrugged écrite par un journaliste de l’Express qui fait des contresens sur l’histoire, un peu comme si j’écrivais que Harry Potter était une femme transformiste vivant à Jakarta).

Mais je ne vais pas m’attarder à essayer de démontrer que le monsieur de Vosges Matin a tort. Je voulais parler de cette étude parce que dans le compte-rendu rédigé par V.T. (Véronique Tison ?), je n’ai pas eu l’impression de m’y reconnaitre ; contrairement à l’étude en elle-même avec de bons passages. Mais un article ne peut pas tout contenir.

Les généalogistes un peu avisés (et non pas avinés !) et ayant un peu de bouteille (…) connaissaient finalement ces résultats à l’avance, mais peut-être de manière inconsciente. Il me parait logique que les classes démunis et les « de Machin de la Truc sur Bidule » ne s’intéressent que peu à leurs origines, car n’ayant pas le même besoin de « voir en arrière » puisque leur histoire peut leur paraître linéaire pour les premiers et déjà connue pour les seconds. Cependant, je ne l’aurai pas formulé ainsi sans cette étude. Elle a donc aussi cet avantage de nous permettre d’identifier clairement ce que l’on soupçonnait ou « savait » sans le formuler convenablement.

On peut comprendre que cette étude ne parle guère des plus jeunes d’entre nous, puisque nous ne représentons pas un très grand pourcentage de cette population. Pourtant, c’est un sujet qui mériterait d’être abordé de manière approfondie et plus « scientifique » : Qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi de plus en plus de jeunes gens voire d’enfants s’intéressent à la généalogie ? Quels sont les éléments, les événements, les contextes qui ont poussés des hommes et des femmes qui sont encore à l’école ou qui entrent à peine dans la vie active à s’intéresser à une activité toujours perçue comme une « activité de retraités » ?

Plusieurs faits peuvent nous pousser à réfléchir sur la question (humblement, cela va de soi). Déjà, au plus le temps passe, au plus nous nous éloignons de l’exode rural et donc du souvenir de nos aïeux ayant quitté leurs campagnes (ou pas !). C’est par exemple mon cas. Je suis né en 1987, je n’ai pas encore de cheveux blancs et, du côté maternel, certains ont quitté leur village il y a plus de 160 ans. Ma grand-mère, elle, savait (et sait) toujours que sa famille maternelle est niçoise et sa famille paternelle valenciennoise ; elle est plus proche de ces vagues de migrations et sait donc mieux d’où elle vient. Nous, jeunes gens, avons un voire deux siècles derrière nous depuis le déracinement de nos ancêtres et cela est d’autant plus vrai lorsque nous sommes nés et habitons dans une grande ville, plus impersonnelle et où les relations familiales sont plus compliquées car plus distantes (géographiquement en premier lieu) et dissoutes dans la masse urbaine. D’ailleurs, l’étude montre bien que les jeunes généalogistes (moins de 35 ans) cherchent leurs origines à 44.20% contre 19.10% pour les plus de 65 ans. Mais cela explique-t-il tout ? Je ne le crois pas.

Notre génération des 15-35 ans est pratiquement née avec un ordinateur dans les mains et écrit plus vite sur un clavier qu’avec ces étranges choses que l’on nomme stylo-plume. Avec l’avènement de l’Internet est venu l’avènement des passions ; si vous êtes passionné de bouchons de bouteilles de vins polonais des années 1930, vous pourrez converser avec d’autres personnes sur Internet. Et c’est la même chose pour la généalogie et encore plus avec des sites comme Geneanet et désormais les archives en ligne. Autrement dit, pour une population active, le fait de pouvoir chercher un ancêtre en Haute-Marne alors que vous vivez dans le Finistère n’est plus un problème similaire à la même situation vingt ans auparavant. Quelques clics et vous voici en train de chercher ce Monsieur Dupont à Suzannecourt. Nous n’avons pas plus de temps qu’avant mais, comme l’avion nous permet de voyager plus que du temps de la calèche, Internet nous permet de faire de la généalogie comme certains jouent au football pour se détendre. De plus en plus jeune, nous pouvons partir en quête de nos aïeux ; et avouez qu’il est aussi plus facile pour un lycéen de naviguer sur un site internet que de demander à ses parents de lui payer une semaine à Dolomieu en Isère pour ouvrir d’anciens registres.

Certains vont pourtant voir dans la pratique de la généalogie une « réaction » à notre temps, un passéisme voire un côté « vieille droite qui veut se prouver être français de souche ». Il m’est arrivé d’entendre ce genre de remarque mais jamais à mon encontre ; il faut dire qu’avec mon nom qui fleure bon l’Italie je ne puis prétendre à un tel statut. Il ne me semble pas que les jeunes généalogistes pratiquent cette activité pour s’enfuir du temps présent.

Je suis assez d’accord avec le constat empirique de l’étude qui dit que les classes moyennes étant en mouvement social, il y a un plus grand désir de savoir d’où l’on vient et ce, couplé au déracinement de nos villages d’antan peut pousser de jeunes gens à s’intéresser à cette pratique.

L’étude nous dit qu’il y a plusieurs déclencheurs dont le plus important est la réunion de famille (18.80% des déclenchements) ; certainement pour savoir pourquoi votre mère appelle Tante Suzanne « ma chère cousine ». Outre la curiosité, déclencheur assez naturel, on remarque que le décès arrive en troisième position (17%), mais a priori cela ne concerne pas les jeunes (espérons pour eux). En lisant les informations de cette étude, je me suis demandé si je me reconnaissais dans ce portrait-robot. Comme dit au tout début de cet article, la réponse est non. Beaucoup d’éléments me concernent mais ils sont presque toujours en minorité.

Outre l’âge dont je viens de parler longuement, l’élément déclencheur qui me concerne ne concerne que 4% des généalogistes. J’ai commencé à l’âge de douze ans car j’avais une option « histoire » au collège qui s’est axée sur la généalogie et je me suis intéressé à la mienne en partie grâce à ce cours, mais surtout grâce aux archives familiales contenant déjà de nombreux essais généalogiques avec pas moins de cinq personnes s’y étant déjà intéressées avec plus ou moins de résultats. J’ai donc commencé ainsi, par une fusion des généalogies familiales du côté de mon père et de ma mère. Ces généalogistes avaient leurs propres motivations : ma mère avait fait la généalogie de mon père à ma naissance pour une transmission (motivation qui touche un tiers des chercheurs), une de mes cousines pour connaître mieux ses origines (motivation de 23.6% des généalogistes) car ses parents étaient cousins, un autre de mes cousins car il était né posthume et  voulait honorer la famille de son père, un autre cousin avait fait la généalogie de sa femme (ma cousine) et enfin ma grand-tante dont l’élément déclencheur était administratif (0.60% des déclenchements seulement) car, son mari étant juif, elle a dû prouver aux nazis qu’elle ne l’était pas. Autant cette étude du Professeur Desjeux est intéressante, autant on voit que nous avons tous des déclencheurs variés et des motivations variées. Ma motivation ? Elle a évolué, tout comme j’ai grandi et j’ai l’impression que cette évolution est bien plus rapide lorsque l’on commence jeune. Au départ, j’ai voulu savoir d’où je venais, puis par les travaux d’une cousine, qui étaient ces nobles gens dont l’ascendance remontait aux calendes grecques, sans oublier le stade de la généalogie purement historique sans lien avec ma famille pour arriver, aujourd’hui, à seulement 23 ans à travailler dans le but de transmettre. La transmission est plus importante chez les moins de 35 ans que ce que je pensais (16.30%) puisque, dans certains éclairs de lucidité, je me dis que tout de même, à 23 ans, célibataire et sans enfant (et sans même avoir fini mes études !), vouloir transmettre quelque chose peut paraître étrange. Est-ce trop tôt ?

Mais la question de la transmission ne concerne pas seulement nos (futurs) enfants et petits-enfants ; la transmission peut se faire dans le sens inverse. Ainsi, le « type B » décrit dans l’étude, le généalogiste qui transmet, qui partage ses résultats et notamment en famille est le « type » dominant (43% des généalogistes sur les trois types présentés) et cette catégorie est d’autant plus importante que les liens familiaux sont forts. C’est par exemple mon cas et la transmission ne se fait pas auprès de mes enfants imaginaires, mais auprès de mes parents, de ma grand-mère ou encore de mes cousins. C’est pourquoi je pense que la transmission n’a pas d’âge et que, lorsque l’on a une famille, la transmission peut se faire entre frère et sœur, entre l’enfant et les parents voire entre les petits-enfants  et les grands-parents. Chez les moins de 35 ans, la transmission aux générations futures existe et peut être une motivation majeure, mais pourquoi ? Pour un peu changer, je vais prendre mon exemple, celui que je connais encore le mieux. Le désir de transmission aux futures générations peut être « spontané », c’est-à-dire qu’il peut venir du généalogiste qui va découvrir ce besoin, mais il peut être aussi « acquis » depuis longtemps. On m’a toujours beaucoup parlé de notre famille et ces paroles étaient incarnées par des objets, par du tangible : un tableau, des photos, des objets divers, des livres, des archives privées. Ces objets ont été transmis et j’ai toujours eu le sentiment qu’ils me seront confiés un jour, non pour en jouir mais pour les conserver au nom de mes ancêtres et les transmettre à mes descendants au nom de leurs aïeux. Et chacun apporte sa pierre à l’édifice, son cadeau aux futures générations. Ainsi ai-je toujours eu ce sentiment de transmission malgré un jeune âge et désormais la généalogie est perçue comme ma pierre la plus importante à cet imposant édifice.

En conclusion, je dirais, comme cela a été noté dans l’étude, que la généalogie touche des populations variées. C’est une passion qui arrive à dépasser le milieu social, l’âge et le sexe; il est donc d’autant plus difficile d’esquisser un portrait-robot commun à cette espèce hétérogène. Les travaux du professeur Desjeux ont le mérite d’éclaircir le sujet grâce à une approche universitaire. Bien sûr, il est fort improbable que l’on arrive un jour à faire un seul portrait pour tous les généalogistes et c’est aussi, à mon sens, ce qui fait le charme de cette activité; discuter avec des personnes dont l’âge est différent, le milieu social, les origines, mais aussi les tendances politiques (contrairement à l’idée reçue évoquée plus haut, l’équilibre entre les opinions politiques existe en généalogie) le niveau d’études (45% ont fait des études supérieures et 45% le brevet, BEP ou CAP). Au plus on creuse la question, au plus on se rend compte que la généalogie est un virus qui ne fait aucune différence entre les individus et tout comme l’exemple du jeune Clément dans le même numéro de La Revue Française de Généalogie, des amis viennent me voir pour discuter de généalogie et souhaitent s’y initier.

Et vous, vous sentez-vous proche de cette étude ? Que vous inspire-t-elle ? Comment percevez-vous les nouvelles générations de généalogistes?