La généalogie à l’école

Il y a deux mois, Grégory Rhit a publié un article sur la généalogie à l’école que je viens de lire avec attention. Il prône un enseignement de cette discipline et bien que je ne sois pas d’accord avec tout l’article, je partage son point de vue sur la mise en place de la généalogie à l’école.

La généalogie est fortement liée à une discipline déjà existante en histoire: la microstoria ou micro-histoire qui est l’étude des individus, de villes et villages. Bref, elle n’est pas la classique histoire événementielle (1515: Marignan), ni l’histoire des « grands hommes »; elle est celle des petites gens.

Enseigner la micro-histoire à l’école

En étudiant un village ou simplement une personne, on fait de la microhistoire. Cela ne veut pas dire, au contraire, que l’on n’inscrit pas cette étude dans son contexte, dans l’histoire événementielle.

Il fut un temps (non, pas jadis, juste quand j’y étais, c’est-à-dire de 09/1993 à 06/2005) où les programmes d’histoire du primaire à la Terminale étaient redondants. On étudiait à peu près toutes les périodes au primaire puis en 6e, on étudiait l’antiquité ; le Moyen-âge en 5; l’époque moderne en 4e et l’époque contemporaine en 3e. Puis arrivait le lycée avec de l’histoire thématique en seconde incluant Antiquité, Moderne et Contemporaine et à nouveau l’époque contemporaine en 1e et en Terminale (XIXe et premier XXe siècle puis second XXe). Il me semble que cette redondance soit justifiée par la possibilité d’arrêter l’école à 16 ans et pour permettre à ces jeunes gens d’avoir un maximum de connaissances. Cependant, celui qui va faire des études supérieures aura étudié l’histoire avec de nombreuses répétitions.

Aujourd’hui, cela a bien changé et pas en bien puisque, beaucoup sont au courant, la chronologie est peu à peu effacée des programmes pour être remplacée par la très démodée étude thématique (dont les spécialistes maîtrisaient tout de même la chronologie !) et par l’étude de royaumes fort fort lointains sans influence sur l’Europe sans oublier l’étude jusqu’à n’en plus pouvoir de l’esclavage. Mais là n’est pas la question…

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En France, on étudie désormais les populations fort fort lointaines…

Ce qui m’intéresse ici, loin de la polémique longuement abordée ailleurs sur les bienfondés ou non de l’étude des Monomotapa, c’est d’introduire la microhistoire à l’école. Introduire la généalogie, comme beaucoup le souhaitent, est une bonne idée, mais ce n’est pas suffisant pour en faire un programme scolaire à mes yeux, a fortiori si l’on parle de collégiens voire de lycéens.

On le voit souvent dans les séries télés américaines, les jeunes lycéens étudient l’histoire de leur patelin. Rares sont les établissements en France à le faire. Pourquoi ? Est-ce parce que ceux des grandes villes n’en sont que rarement originaires ? Est-ce parce que les professeurs n’ont pas les connaissances dans ce domaine ? Est-ce parce que cela est considéré comme un enseignement « communautaire » ? N’étant pas ministre de l’instruction, je ne saurais dire ce qu’il en est.

Quoiqu’il en soit, certains le font et je vais vous raconter une petite histoire : Au collège, j’ai été chanceux. En 4e, on avait le choix, pour un après-midi par semaine, de choisir l’option de notre choix. Je voulais faire badminton, mais la CPE a décidé que, comme mes notes n’étaient pas assez bonnes en 5e, il fallait me punir (z’étaient pas très sympas) et je me suis retrouvé en option histoire. Un cours ! En plus des autres !

Me voilà donc dans le cours d’histoire d’une personne que je vais me permettre de nommer, et vous comprendrez pourquoi : Mme Evelyne Lyon, désormais plus connue par chez nous sous le nom de Mme Lyon-Lavaggi. Nous avons étudié l’histoire de notre quartier de Marseille : Mazargues. Autant une partie de ma famille est implantée à Marseille et ses environs depuis les plus vieilles archives notariales, autant ma famille vit à Mazargues seulement depuis les années 1940. J’aurais pu répondre à une question posée plus haut en disant que je ne pouvais être intéressé par une histoire qui ne me concernait pas totalement. Mais non, car je suis né dans ce quartier et j’y avais alors passé toute ma vie comme la majorité des collégiens. Ainsi, pendant un an ai-je eu un des meilleurs cours de ma vie, un des plus intéressants et j’ai pu étudier l’histoire qui m’était proche, me balader avec mes camarades et ma prof dans le « village », découvrir de vieux souterrains, de vieilles fresques, en apprendre plus sur ce village et par extension, faire de la généalogie, celle d’un mazarguais dont les ancêtres l’étaient aussi majoritairement. Ce fut grâce à cette dame et ma prof d’histoire de la même époque, que je suis là aujourd’hui, passionné par l’histoire et par la généalogie.

Je me suis permis de citer Mme Lyon car elle a déjà écrit de nombreux ouvrages sur Mazargues que vous pouvez acheter sur Amazon si cela vous intéresse.

Cette proximité nous permet de redécouvrir le lieu où nous vivons de voir sous un angle nouveau ces bâtiments auxquels nous ne faisons pas attention. Quelques vieux arbres plantés présents depuis des siècles sur une ancienne campagne, des légendes autour de lieux mythiques, des rues aux noms de personnalités locales, les restes des étendoirs des pêcheurs. Tout s’éclaire et jamais je n’ai vu mon quartier ainsi, et jamais je ne le verrai autrement.

Bref, par ce cours d’initiation à la microhistoire, moi, mais aussi mes camarades de classe, avons appris à aimer davantage notre quartier en le connaissant mieux. Et forcément, la petite histoire rencontre la grande histoire.

Je vous ai parlé il y a un an du procès des notables de Valenciennes ; si on enseignait la micro-histoire aux valenciennois d’aujourd’hui, on pourrait leur faire étudier entre autres : la bourgeoisie d’Ancien Régime, l’artisanat, le négoce et croiser l’histoire événementielle : la révolution française par exemple. Quel impact sur Valenciennes ? A travers cela, on étudie outre le procès, l’invasion autrichienne, la résistance de la ville puis l’occupation et on croise d’illustres individus au détour de tout cela. Par exemple qui était ce monsieur Léonard Mathieu de Quenvignies qui reçut chez lui l’empereur d’Autriche ? Pourquoi lui ? Parce qu’il était un riche homme capable de recevoir à peu près correctement un souverain. Pourquoi était-il riche ? Car il possédait les mines de charbon d’Anzin, Fresnes et Vieux-Condé. Et cela permet ensuite d’étudier les mines de charbon dans le Nord.

Étudier la microhistoire, nous l’avons vu, c’est étudier ce qui nous est proche et c’est justement cet aspect, la « proximité », qui peut passionner les étudiants et les faire s’intéresser à l’histoire. Nous avons tous eu des pages de dates à apprendre par cœur, à étudier en long, en large et en travers des guerres et les élèves ne s’en sentent pas proches. Si à travers la microhistoire et la généalogie on voyait que le bisaïeul avait fait la guerre de 14-18 et le trisaïeul la guerre contre la Prusse puis la Commune, cela pourrait permettre d’impliquer davantage les élèves dans l’histoire. Qu’est-ce qu’un régiment ? Qu’est-ce que la Légion d’Honneur ? Que s’est-il passé à Verdun ?

Il ne faut pas oublier que la grande histoire est faite par les petites gens.

Étudier la généalogie: Nos ancêtres les gaulois

Tout cela m’amène à la généalogie. Pourquoi ne pas proposer une initiation à la généalogie? On a vu l’intérêt de la micro-histoire; quel est celui de la généalogie à l’école?

G. Rhit l’explique bien par l’apprentissage des us et coutumes de nos ancêtres. Finalement, la généalogie est un science sociale qui en traverse plusieurs: l’histoire, la géographie mais aussi la sociologie. Permettre à de jeunes élèves de s’initier à la généalogie, c’est leur permettre de développer un esprit critique envers les sources, d’en apprendre plus sur les migrations. On dit la France terre d’immigration; la généalogie peut le prouver. Rien ne sert de dire « La France a connu des vagues successives d’immigration » sans relier cela aux élèves. Je suis, personnellement, issu de familles de Marseille et du Sud en général. Il se trouve que les grandes pestes ayant décimé les populations, beaucoup d’immigrés vinrent s’installer et eurent une descendance encore largement présente. Un marseillais « de souche » est donc descendant d’italiens. Accepter cela peut permettre la réintroduction de l’instruction civique quelque peu délaissée à l’école: Pourquoi l’immigration? Comment les populations se sont-elles assimilées/intégrées au point qu’on en oublie leur passé étranger? Outre le lien avec la grande histoire, la généalogie permet de mieux comprendre le comportement des personnes, leur vie quotidienne mais aussi les grands thèmes politiques contemporains: l’immigration, la place des pauvres dans la société, le rapport à la justice, la propriété privée, l’ascension sociale, etc.

Au final, enseigner la généalogie et la micro-histoire, c’est permettre une ouverture intellectuelle aux jeunes générations, les intéresser à l’histoire, les ouvrir à la sociologie, à l’instruction civique, les rattacher à un territoire contrebalançant l’exode rural du XIXe et du XXe siècle. La microhistoire est même indispensable, à mon avis, au bon enseignement de la grande histoire.