Comment exploiter un acte en généalogie ?

En tant que généalogistes, nous avons souvent affaire à des actes (enfin, je vous le souhaite!). Nous trouvons l’acte de mariage d’un ancêtre, le baptême d’un lointain oncle ou le décès d’une cousine. Souvent alors, nous prenons une copie de l’acte, nous le classons, et nous mettons dans notre arbre généalogique: Marie Dupont + 07/08/1738 à Clochemerle.
On se dit qu’on a fait du bon travail. Pas forcément. Tout dépend de ce que l’on cherche à faire avec son arbre généalogique. Mon but est d’écrire la vie de mes ancêtres et chaque acte est une étape dans la rédaction d’une biographie de cette branche. Mais pour pouvoir un jour avoir de la matière sans être submergé par les actes innombrables, il me faut extraire les informations de cet acte et les placer aux bons endroits. Plus encore, il faut, lorsque je reverrai ces informations, pouvoir en retrouver l’origine exacte.
Ce billet s’adresse donc en priorité à ceux qui cherchent une méthode pour faire une généalogie à but historique et qui ne savent pas comment s’y prendre. Il s’agit donc de ma méthode qui est loin d’être universelle, car bien que portant le portant le nom d’un apôtre, ce dernier n’ayant pas écrit d’évangile, ma parole est bien égale à la vôtre!

Etudions le dernier acte que j’ai eu à explorer. Le baptême d’une « tante » au XVIIIe siècle, dans le Nord. Voici l’acte:

Source: Archives Départementales du Nord – Valenciennes paroisse Saint-Nicolas
(cliquez pour agrandir)

Première réaction: je gémis. De gros pâtés. Je ne préconise jamais de recopier tous les actes en sa possession (sauf ceux hors des registres paroissiaux et d’état-civil, comme les actes notariés et autres ou les actes sortant de l’ordinaire); l’utilité étant plus que limitée voire quasi-nulle lorsque l’on sort les informations du document et qu’on les place au bon endroit. Mais dans ce cas, cela peut être un confort supplémentaire. Donc, tout d’abord, si vous vous retrouvez face à un acte difficilement lisible: retranscrivez-le. Cela permet de s’attarder sur les mots et d’imposer un rythme lent qui sera nécessaire. Pour la transcription, le modèle est simple: respecter tant que possible l’orthographe d’origine et sauter la ligne en même temps que le curé pour savoir où chaque mot est placé (profitons-en pour numéroter les lignes).

Voici une transcription (où j’ai rajouté les accents par pur confort de lecture):
1) L’an mil sept cent cinquante huit le cincq avril fut
2) baptisée par nous Druest(?) prêtre grand clercq de cette
3) paroisse Julie Joséphine, née le jour précédent à six
4) heures du matin ci derrière la rue des Dominiques, fille de
5) mr Jean Baptiste Joseph Régis Flory marchand et de delle
6) Jeanne Catherine Proost sa légitime épouse. fut parrain
7) mr François Joseph Tribout marchand de la paroisse S.
8) Géry rue cardon fut marraine Delle Anne Joseph
9) Chauvin, marchande de la paroisse de la Chaussée, rue
10) Cambray. le père présent ont signé comme s’ensuit
Signatures: Tribout, JB Flory, Chauvin

On repère les informations habituelles: date du baptême, prénom du nouveau-né, noms et prénoms des parents. Bref, comme d’habitude. On a donc Julie Joséphine Flory, baptisée le 05/04/1758 fille de Jean Baptiste Joseph Régis et de Jeanne Catherine Proost. Mais ça ne suffit pas; en tout cas, ça ne me suffit pas.

Le père (qui a presque autant de prénoms qu’un Bourbon) a devant son nom l’abbréviation « mr », signifiant monsieur. Mon logiciel de généalogie me permettant de créer des « titres » je l’ajoute et je vois qu’il avait déjà été qualifié de « sieur ». Cette information permet de noter que cette personne est un notable, ainsi que son épouse qualifiée de « delle » (demoiselle). En effet, les qualificatifs de ce genre marquent la notabilité (et non pas la noblesse!) sous l’Ancien Régime. Attention cependant si vous traitez un acte du XIXe où l’on emploie monsieur comme aujourd’hui, l’adressant à tout homme; je le précise car j’ai remarqué que de nombreux arbres l’insèrent en « titre »; un « monsieur » au XIXe peut très bien être un journalier et une « demoiselle » une lingère. Cela fausse votre étude.
Une fois le titre noté, on remarque aussi que Jean Baptiste Flory est marchand. On inscrit souvent dans l’espace réservé la profession. Je vous vois déjà écrire: Marchand. Ah non! Si ça se trouve, dans un acte de 1760, il y aura écrit « papetier » ou « censier » ou n’importe quoi d’autre. Dans ce cas, quand vous voudrez écrire l’histoire de cette personne, comment ferez-vous pour savoir à quel moment il a eu tel ou tel métier? Comme les logiciels ne sont pas tous adaptés, j’utilise l’encart « Notes ». J’inscris « Profession: » et la ligne en-dessous je mets trois informations:
1. Année de l’acte
2. Profession
3. Source
Dans ce cas, dans mes notes il est écrit: 1758: Marchand (Acte de baptême de Julie Joséphine Flory le 05/04/1758 à Valenciennes paroisse Saint-Nicolas)
Et je remarque qu’en 1807 (cinquante ans plus tard!), il est écrit « Propriétaire » signifiant qu’il a arrêté d’exercer et qu’il vit de ses rentes. Ainsi, vous pourrez suivre au plus près l’évolution professionnelle de votre aïeul, d’année en année (suivant le nombre et la qualité des actes), vous permettant d’établir des fourchettes temporelles. Si vous ne le faites pas, il vous faudra relire tous vos actes et vous en oublierez beaucoup (notamment, si une information se trouve dans le baptême d’un cousin dont il est le parrain)!

Revenons sur la fiche du nouveau-né. Julie Joséphine a été baptisée le 5 mais est née la veille. Cette information n’échappera à personne. J’ai l’habitude de rajouter pour la naissance, l’heure. A priori, cela ne semble servir à rien, mais cela peut vous permettre, éventuellement, d’ajouter un petit plus dans la rédaction de votre biographie (A l’aube naquit Julie Joséphine, blablabla). Cela peut aussi aider si la mère meurt en couche ou l’enfant quelques heures plus tard, apportant de fait des précisions. Vous pouvez faire de même avec le nom du prêtre. Cependant je ne le fais pas sauf dans deux cas: Tout d’abord, si c’est un homme particulièrement important qui baptise l’enfant (un évêque ou autre) et surtout je le fais si le nom m’est familier, car il peut y avoir un lien. Je vais éviter de faire une digression tout de suite (même si c’est ma spécialité) et y revenir plus loin.
Dans certains logiciels, vous pouvez noter les résidences de vos ancêtres. Faites-le! En tant que descendant de militaires, je vous assure même que c’est indispensable. En tant que descendant de ces marchands du Nord, je vous assure… que c’est indispensable aussi. Dans cette même ville de Valenciennes où naquit Julie Joséphine, je notais, au hasard d’un acte, qu’un de mes ancêtres avait vécu rue Askièvre. Il y vivait au XVIIIe. Cette rue existe toujours. Cela nous permet de localiser approximativement le quartier où vivaient nos ancêtres. Et quand bien même la rue n’existerait plus, il en existera toujours des traces dans les archives. Vous pourrez apprendre dans quel milieu vivaient vos ancêtres et écrire un ou deux paragraphes sur l’histoire de la rue (les changements de noms, les guerres, les magasins, etc) qui rendront davantage lisible l’histoire de nos ancêtres qu’un « Julie Joséphine est née le 4, baptisée le 5… après j’en sais rien »

Vous pensez que c’est terminé? Non! N’oublions pas le parrain et la marraine. Et là, j’en vois certains bougonner: « Ils n’ont pas les mêmes noms, il n’y a pas de liens de parenté, ça ne sert à rien! ». Rhooo! Relisez: De l’utilité des témoins. Ensuite, créons une fiche pour le parrain et pour la marraine. Les logiciels permettent la création automatique de fiches lors de l’ajout de témoins. Ce faisant, nous n’oublierons pas pour eux le signe de notabilité, la profession, et l’adresse (précisez la paroisse quand vous la connaissez).

Désormais, vous êtes fatigué, moi aussi et vous vous apprêtez à partir sur autre chose… Attendez un instant! Lisons les derniers mots: « le père présent, ont signé comme s’ensuit ». Oui, le père et les témoins signent. Comme nous avons récupéré l’acte, nous récupérons la signature de chaque personne (témoins compris). J’ai créé un dossier, au nom original de « Signatures » qui contient les signatures (!) récupérées dans mes recherches. Je remarque que j’ai déjà trois fois la signature de Jean Baptiste Flory. Je prends celle-ci aussi. Pourquoi? Déjà parce qu’elle est peut-être plus jolie que les fois précédentes mais aussi parce qu’il peut y avoir des changements. L’un des frères de Julie Joséphine signait très souvent et il y a une évolution dans sa signature: elle devient de plus en plus tremblotante. On peut donc supposer une maladie ou une infirmité qui apparaît avec l’âge. Avec les signatures récoltées, nous pouvons aussi illustrer l’histoire de ces ancêtres.
Je vous ai parlé des cas où je note le nom du prêtre. Et cette histoire de signature est le moment idéal pour l’aborder car je puis comprendre que l’on soit sceptique face à la collection de signatures. Les parents de Jean Baptiste se marient et ce n’est pas le prêtre de la paroisse qui célèbre l’église, mais un certain Jean Flory, curé de Sebourg. J’apprends aussi grâce à d’autres actes que ledit curé de Sebourg est le frère du marié. Je note tout ceci, le prêtre signe, je prends sa signature et je passe à autre chose. Les mois passent et je travaille dans une toute autre commune du département, sur une branche différente. Je suis content car je trouve un acte tant attendu. Je commence à lire l’acte et là, que vois-je? le prêtre est un certain Jean Flory. Je ris en me disant que c’est amusant d’avoir un prêtre qui porte le même nom que mon prêtre. Puis je suis saisi d’un doute. Je regarde l’époque et celle de mon Jean Flory et ça coïncide. Mais il ne faut pas se précipiter, il faut établir une preuve tangible: est-ce oui ou non la même personne? C’est un peu gros comme une maison et le « peut-être » ne me satisfait pas. Et c’est là que les signatures sont utiles: je compare les deux signatures pour démêler cette histoire. Les signatures sont absolument identiques. Il s’agit de la même personne. Ainsi ai-je de quoi raconter, ajouter des informations qui plairont à mes cousins lecteurs. Sans la signature, j’aurais été dans le doute. Et sans avoir pris le temps de noter toutes les informations sur la première apparition de ce curé, je n’aurais pas forcément été capable de retrouver l’acte concerné.

Petit point pour terminer sur cet acte de baptême. Quand je dis qu’il est important de noter les parrains et les marraines, en voici une preuve: la marraine Anne Joseph Chauvin est marchande et vit rue Cambray sur la paroisse de la Chaussée de Valenciennes. Julie Joséphine Flory a un grand frère, Pierre Melchior. Son parrain se trouve être un certain Pierre Joseph Chauvin, marchand domicilié rue Cambray sur la paroisse de la Chaussée de Valenciennes. Ayant relevé l’acte de baptême de Pierre Melchior il y a plus d’un an, j’avais oublié qui était son parrain (normal!) mais grâce aux saisies complètes, son nom est apparu quand j’ai créé la fiche d’Anne Joseph Chauvin. Il ne me reste plus qu’à établir leur parenté (frère/sœur, père/fille, époux/épouse) et je puis les considérer comme une famille proche des Flory.

Fiche de Pierre Joseph Chauvin issue de Geneanet

En conclusion, ce mode opératoire prend du temps et cela peut en effrayer plus d’un, notamment lorsque l’on travaille sur des actes du XIXe très riches en renseignements. Pour donner une idée, avec cette méthode, il faut une demi-heure pour traiter un acte de mariage du XIXe si vous êtes aguerri. A terme, on gagne de nombreuses heures de recherches fastidieuses et surtout (presque) aucune information ne vous échappera. Les étapes décrites ci-dessus m’ont été d’une aide infinie lors de la rédaction de divers articles pour mon premier livre paru l’an dernier (que personne ne peut acheter puisque c’est un tirage à but exclusivement familial… contenant des articles qui n’intéresseront que la famille). Des fois, je l’avoue, j’ai la flemme de faire tout ce que je vous décris. Alors que faire lorsque l’on s’auto-diagnostique une flémingite aigüe? Vous pouvez éventuellement faire comme moi: avoir un cahier sur lequel vous notez vos petites recherches et trouvailles, les descriptions d’actes, les numéros de vue des registres en ligne que vous entrerez dans votre arbre quand vous aurez bu une fiole de courage.

Bonnes recherches!