La maîtresse du seigneur

Nous avons pu voir, dans un précédent article, l’histoire de Jean Henry Flotte, fils illégitime de François de Flotte des seigneurs de Roquevaire, un enfant illégitime qui épouse une enfant illégitime. Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à sa mère, Claudine Buchard.

Qui était cette femme qui fut la maîtresse du seigneur ?

Trouver la trace d’une fille-mère

Retrouver une fille-mère n’est pas toujours évident. Lorsqu’on se retrouve face à un acte de baptême, par exemple, impliquant un enfant illégitime, nous n’avons parfois que les noms et prénoms de la mère mais il est alors difficile de la replacer dans sa famille car nous manquons d’informations. Je reconstitue les familles d’un bourg de Vaucluse, La Tour-d’Aigues, et bien que cette démarche permette de connaître tous les habitants du coin et de retrouver plus facilement une fille-mère dans son contexte généalogique (en somme, de qui est-elle la fille), l’homonymie complique parfois la tâche.

Le cas de Claudine Buchard est différent car… elle n’est pas de Roquevaire. Au début, mes recherches étaient totalement vaines. Etait-elle une Buchard, une Bouchard ? Quand bien même, aucune trace d’elle.

C’est le notariat de Roquevaire qui m’a permis de la situer, comme nous l’avons vu dans l’article cité. Nous y apprenons que François de Flotte a marié sa maîtresse à un certain Claude Blanc de Saint-Zacharie et qu’il s’est chargé de payer sa dot. On sait seulement qu’un contrat de mariage a été passé à Saint-Zacharie. J’ai contacté le Fil d’Ariane en précisant ma recherche : une période de temps et une demande de chercher dans les répertoires de deux registres. Un bénévole a non seulement retrouvé la mention du contrat mais en plus l’a numérisé et me l’a envoyé. J’en suis grandement reconnaissant !

Grâce à ce bénévole et à la structure du Fil d’Ariane, cette fille-mère, cette maîtresse, a désormais sa vie propre en tant qu’individu. Elle peut être replacée dans son contexte familial et apparaît pour elle-même. Nous allons donc voir ensemble en quoi consiste ce contrat de mariage, d’où vient Claudine et la postérité de son mariage.

Le contrat de mariage de Claudine Buchard

Le 8 novembre 1658, Claudine Buchard se maria par contrat à Saint-Zacharie, dans le Var, avec un certain Claude Blanc. Qui est cet homme ? Quelles sont les clauses du contrat ? Et qu’apprend-on sur les origines de Claudine ?

Claude Blanc est présenté comme le fils légitime de maître Martin et de feue Françoise Paul. Il est natif de Saint-Zacharie et son père est présent lors de ce contrat par lequel il reconnaît à son fils la capacité d’agir et de négocier en homme majeur (sans autorisation paternelle, en somme) et il ajoute à cela une donation entre vifs de l’intégralité de ses biens. Claude Blanc reçoit donc tous les biens actuels et à venir de son père en tant qu’héritier universel, incluant les fruits qu’il pourrait y avoir sur la dot de sa défunte mère. Tout ceci vient avec quelques conditions, notamment d’entretenir son père et ses deux sœurs, Magdeleine et Thérèse Blanc jusqu’à ce que ces dernières se marient (avec une dot à régler, bien sûr !).

Le début du contrat de mariage de Claudine Buchard

Martin Blanc prévoit même le cas où Claude ne s’entendrait pas avec ses sœurs ou son père et prévoit en cascade des clauses où, s’ils vivaient séparément, Claude devrait verser des pensions annuelles en nature et éventuellement en argent. Enfin, Claude est héritier universel, mais ne le restera peut-être pas… car il a un frère : Jean Honoré.

en cas que le sieur Jean Honnoré Blanc son autre fils, frere dudit Claude quy est dans les armées du Roi et qu’on ne scait pas s’il est en vie ou mort revinst en ce pays audict cas ledit Blanc pere veut et entand que la moitié de tous et chascuns ses biens et ceux de sadicte feue fame cy dessus données luy apartiennent pour les randre esgaux avec sondict frere

On en apprend beaucoup sur Claude Blanc dans cet acte, et finalement moins sur son lien avec Claudine Buchard que sur ses liens avec sa propre famille.

Pour se marier, Claude Blanc a besoin du consentement de son père, mais Claudine a aussi besoin d’un consentement : celui de François de Flotte. Pourquoi aurait-elle besoin de son consentement ? Il semble qu’il faille prendre le passage « avec la presance, adherance et consantement » dans le sens où François de Flotte est présent pour elle et qu’il a le mariage « pour agréable » (il faut dire qu’il semble l’avoir organisé !) et que Claudine Buchard n’a pas au sens strict besoin de son consentement d’un point de vue légal. Simplement, c’est lui qui paie la dot, il est donc normal qu’il soit cité dans ce passage spécifique de l’acte.

Pour dot, Claudine Buchard s’assigne tous ses biens et droits, ce qui est très fréquent dans les contrats de mariage impliquant notamment des femmes issues de familles modestes ou qui n’ont plus de famille. Dans le cas présent, la deuxième option est la plus probable et je vous dirai pourquoi un peu plus loin. Ici, chose intéressante, cet ensemble a été estimé à 132 livres « au prix des coffres, robbes, bagues et joyaux de ladite Bussar à ce extimer entre les parties« . Il arrivait que les dots de ce type (« tous ses biens et droits ») ne soient pas estimés.

Revenons à cette dot, car vous avez lu dans le précédent article que François de Flotte avait payé pour la dot de Claudine une somme de 100 livres « en desduction et à bon comte de plus grand somme » (Quittance en 1661 à Roquevaire aux AD13 en 386 E 81 f°152). Je me demandais alors quel était le montant réel de la dot. La voici :

ayant ledit noble Francois de Flotte escuyer le presant mariage agreable et pour certaines et bonnes consideration à ce le mouvant a constitué [biffé : en doct] à la dite Bussar la somme de cinq cens livres acompte desquelles ledit Claude Blanc a confessé avoir reallement receu en louis d’argent et autre monnoye au veu de moi notaire et tesmoins la some de trois cens livres desquelles en quite ledit sieur de Flotte et les deux cens livres restantes ledict sieur de Flote promet payer audit Blanc en deux années et en deux payes esgales de cent livres chascune, la premiere desquelles ce faira d’aujourd’huy en un an et l’autre a pareil jour un an apres

Claude Blanc reçoit donc 132 livres de dot de la part de Claudine et 500 livres de la part de son ancien amant. Sur cette somme, 300 livres sont payées comptant et on suppose donc 100 livres payées en novembre 1659 et les 100 livres restantes dans la quittance de février 1661 (avec quelques mois de retard) qui annonce bien que ces 100 livres sont « à bon compte ».

François de Flotte présent et signant pour ce contrat de mariage

S’ensuit une donation mutuelle entre vifs pour cause de noces. L’époux « donne » 300 livres à l’épouse et cette dernière, de manière traditionnelle, lui en « donne » la moitié. Pour ceux qui ne connaissent pas cette clause très classique des contrats de mariage, elle signifie que si l’un des époux meurt, l’autre héritera automatiquement de cette somme.

Tout ça, c’est bien beau, mais d’où vient Claudine ? Qu’apprend-on dans ce contrat sur ses origines ?

Le contrat de mariage nous dit que Claudine est fille légitime de Jean et de feue Jacqueline Lhospital. Ils seraient originaires, ainsi que Claudine, de « Bussina en Dauphiné ». Bien entendu, avec la chance habituelle de votre serviteur, nous nous retrouvons avec un lieu inconnu. Que faire dans ce cas-là ? Nous avons les parents, nous avons aussi un nom avec une variante puisque Buchard est écrit « Bussar » dans cet acte. A partir de là, j’ai fait ce que n’importe qui devrait faire : chercher ailleurs. Ainsi j’ai cherché le couple de parents dans Geneanet. Et voici ce que j’ai trouvé :

Un arbre Geneanet (de hpillet) nous trouve un Jean Buchard marié à une Jacquemine de Lhospital (cliquez pour agrandir)

Cet arbre nous offre une parfaite homonymie, donc la piste est intéressante. Le couple est origine d’Ugine en Savoie. Bussina/Bussine et Ugine pourraient très bien être le même lieu, et la Savoie et le Dauphiné se confondaient alors. Mieux encore, il nous donne une fille : Jeanne Claudine Buchard née en 1627 ce qui lui ferait 31 ans lors de son contrat de mariage avec Claude Blanc, en rappelant, chers lecteurs, que Claudine avait été au moins deux fois mère avant cela. Nous pouvons donc, sans trop de problème, voir ici la filiation de Claudine et son origine. La famille Buchard était aisée, le père marchand, le grand-père « bourgeois d’Ugine » et la famille citée à de nombreuses reprises dans l’histoire de cette commune donnant notamment un cavalier, une dynastie de notaires, des prieurs et, par une certaine Thérèse Buchard, un poète : Jean-François Ducis. Voilà encore de quoi faire des recherches supplémentaires et, déjà, de quoi montrer que Claudine Buchard, maîtresse de François de Flotte, n’était probablement pas une servante de ce dernier, mais plutôt une fille de bonne famille.

Comment Claudine Buchard, native d’aussi loin, s’est-elle retrouvée à Roquevaire, près de Marseille ?

Je n’ai pas la réponse à cette question. Peut-être est-elle venue d’elle-même dans le sud ou peut-être que François de Flotte est allé en Dauphiné ou en Savoie et qu’il l’a rencontré. A ce jour, je suis incapable d’émettre une hypothèse solide sur l’origine de ce couple. Il faudrait compulser le notariat de Roquevaire voire d’Ugine pour les chercher l’un et l’autre afin d’établir une chronologie. En attendant, mon romantisme prend le pas et je m’imagine, dans mon coin, tout un soap opéra.

Revenons à la réalité un instant avec ce mariage. Une fois tout ceci passé, est-ce que Claude Blanc et Claudine Buchard ont eu une descendance ? La réponse est oui !

Le fils légitime de Claudine Buchard

Claude Blanc et Claudine Buchard ont eu un fils, Jean Baptiste sur lequel je ne sais pour ainsi dire rien ! On ne le trouve cité qu’une fois, en 1679, lorsqu’il se marie à Marseille, paroisse La Major, avec Lucrèce Laugier. L’acte ne nous dit pas quel était son métier, mais il ne semble pas savoir signer ; en effet, un témoin signe ce qui signifierait que les autres ne le savent pas.

A-t-il eu lui-même des enfants ? Quand est-il mort ? Quel métier pratiquait-il ? Autant de questions pour l’instant sans réponse. L’acte nous apprend cependant deux choses importantes : Claude Blanc est décédé et Claudine Buchard est toujours vivante.

Sur ce dernier point, cela permet de réduire la fourchette temporelle concernant le décès de Claudine. Vivante en septembre 1679 à ce mariage, morte avant décembre 1680 au contrat de mariage de Jean Henry Flotte. Malheureusement, l’acte n’a pas encore été trouvé.

Et désormais… ?

Et désormais, que chercher ?

Pour Claudine Buchard, il me semble que chercher des traces dans le notariat de Roquevaire à l’époque où elle était avec François de Flotte est une priorité. Son décès vers 1679-1680, sûrement à Marseille, a pu donner lieu à un testament, mais le notariat de Marseille est assez impressionnant ! Ce sera donc un élément très secondaire d’autant plus que, même si elle avait passé un testament, rien ne garantie qu’elle l’a passé sur Marseille puisqu’elle s’est mariée à Saint-Zacharie et y est peut-être retournée après le mariage de son fils.

Enfin, il existe un livre sur Ugine, la commune dont est originaire Claudine, et qui cite les Buchard à de nombreuses reprises. J’ai pu me procurer un exemplaire de l’ouvrage et, qui sait, peut-être écrirai-je sur les parents de Claudine… mais ce ne sera pas pour tout de suite. En effet, cette saga impliquant Jean Henry Flotte, dont le présent article est une sorte de suite, me conduira prochainement à vous parler de son épouse, Lucrèce Nègre, elle aussi enfant illégitime.

Prochainement sur Sacrés Ancêtres! : Un avis de décès fort instructif… ou quand un avis de décès permet de creuser des branches collatérales.

3 réflexions sur “La maîtresse du seigneur”

  1. Fanny-Nésida

    Oh là là beaux portraits et admirable enquête, vivement la suite

  2. Admirable enquête. Quelle chance ont tous ceux dont les ancêtres ont pu laisser une trace chez les notaires

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