Les noyés de la Tinée

Il y a quelques jours, Merline nous parlait de son ancêtre, noyé dans la Seine. Cela m’a fait penser à quelques cas de noyades rencontrés aux détours des registres.

Cela se passe à St Sauveur sur Tinée, dans les Alpes-Maritimes, au XVIIIe siècle. L’Etat-Civil est souvent peu loquace sur les raisons du décès, notamment au XIXe. Les journaux, quant à eux, après recherche (le CG du 06 a mis d’anciennes publications en ligne) ne remontent pas assez haut dans le temps et ne font pas non plus état de noyade dans la Tinée au XIXe siècle. Il faut dire que le CG06 a seulement mis en ligne les journaux francophones, chose compréhensible, mais il est évident que notre recherche est donc limitée puisqu’une grande partie de ce département était italophone, officiellement, jusqu’en 1860 inclus.

J’ai pu dénombrer au moins sept cas de noyade au XVIIIe siècle à St Sauveur sur Tinée et quatre au XIXe.

La Tinée

Le Conseil Général du 06, qui a fait un merveilleux travail de publication des archives, a transcrit un ouvrage de François-Emmanuel FODÉRÉStatistiques du département des Alpes-Maritimes. On y trouve toute une partie sur la rivière Tinée.

La Tinée prend donc sa source à Saint-Dalmas-le-Selvage à l’extrême Nord-Est du département et tout au long de son parcours est alimentée par des torrents, souvent très rapides et dangereux. On apprend notamment que les rares ponts (cinq au début du XIXe) étaient particulièrement dangereux, notamment celui d’Isola qui était presque impraticable et impossible à traverser à cheval. On ne nous dit pas grand-chose à propos de celui se trouvant à Saint-Sauveur, mais il y a fort à parier que le pont n’est pas le principal lieu dans ce village où les gens sont tombés et se sont noyés.

La Tinée est tout à fait en bordure de Saint-Sauveur et il n’est guère encouragé de trop s’y aventurer. Depuis le XXe siècle, notamment après 1945, l’autre côté de la Tinée s’est largement construit et il y a désormais un collège et un pont bien plus sûr.

Les noyades 

Je ne vais pas vous faire de description de toutes les noyades, bien entendu. Nous nous concentrerons sur deux actes du XVIIIe.

Noyade en 1754
Sources: Archives diocésaines de Nice AD06 [05MI 130/001] vue n°9

En voici d’abord une transcription :
1) 1754 die decima sexta Augusti inventa est mortua
2) naufraga in puteo Regionis det ongrien territario
3) hujus loci, Angela Maria Pons ad hac paruula
4) filia Andrea pons et Maria Magdalena Lombard
5) conjugu. die sequenti sepulta est in cemeterio
6) hujus parrochia                  Ludcus Bellon prior

Et une traduction:
En 1754 et le seize août est trouvée morte noyée en état de putréfaction dans la région dite d’Ongran territoire de cette commune, Angèle Marie Puons de cette paroisse fille d’André Puons et de Marie Magdeleine Lombart, mariés. Le lendemain, elle a été enterrée dans le cimetière de cette paroisse
[Signé] Louis Bellon, curé

Quelques constatations:
– Les noms de familles ont été légèrement modifiés pour correspondre à ceux réels de la commune, Lombart et non Lombard et Puons au lieu de Pons.
– Le territoire d’Ongran n’est presque jamais cité, il s’agit certainement d’une référence au fait que Saint-Sauveur soit une ancienne seigneurie de la famille Ongran
– Le fait que les parents soient cités révèle que la personne décédée est très certainement mineure ou jeune adulte non mariée.

En effet, après vérification, Angèle Marie Puons s’est noyée à l’âge de deux ans, étant née le 04/04/1752.

Autre cas de noyade, cette fois-ci, en français, mais croyez-moi, vous préférerez celui en latin:

Noyade en l’an VII.
Sources: Archives diocésaines de Nice AD06 [05MI 130/001] vue n°7

Je me suis essayé à une transcription (avec corrections) :

1) Aujourd’hui vingt messidor an septième de la République française au sept
2) heures du soir devant moi François Maissa agent municipal de la
3) commune de St Sauveur département des alpes maritimes canton de valdeblore
4) en la maison commune sont comparus les citoyens françois dominique
5) dallures de la commune de Nice âgé vingt neuf ans, négociant
6) et Baptiste fighirese de la commune de Lantosque laboureur de terre
7) âgé de vingt deux ans; lesquels ont déclaré à moi agent municipal
8) que Antoine Masseille âgé de trente ans domicilié dans la commune
9) de Lantosque à l’occasion particulière était occupé à travailler dans
10) le vallon pour le jardinage des bois, le même, le treize du courant
11) s’est noyé dans ledit vallon à la vue de tous les autres
12) ouvriers en nombre de vingt environ, et ensuite
13) ce noyement lui a causé la mort; n’ayant pas même
14) pu le retrouver jusqu’à aujourd’hui. Lequel ils ont fait
15 transporter dans ce lieu d’après cette déclaration. Je me suis
16) transporté au lieu où le même a été remisé dans la chapelle
17) des ci-devant pénitents. Je me suis rassuré du décès et
18) … du dit Antoine Masseille et, j’en ai dressé le présent
19) acte que j’ai signé avec le dit dallures et le fighirese
20) n’a pas signé pour ne pas savoir écrire.

En somme, nous avons là un étranger à la commune, venu pour travailler dans les périlleux vallons de la Tinée et qui suite à un accident s’est noyé. Il est également terrible de voir qu’il a fallu une semaine pour retrouver son corps.

A propos de terrible, l’écriture de cet acte l’est. Presque illisible, on peut mettre en partie en cause le papier qui fait baver l’encre, cette dernière transparaissant de l’autre côté de la page. Cependant, l’auteur de l’acte n’est pas en reste, entre l’encre, certainement la plume et son écriture, on a de quoi s’esquinter les yeux.

Le pire? Le monsieur qui a écrit cet acte, François Maïssa… eh bien, c’est mon ancêtre. Cela fait une bonne excuse si l’on me reproche une écriture illisible: « C’est dans mes gènes! »

Pour revenir aux noyades, je souhaiterais rendre un petit hommage à ces pauvres personnes qui ont dû souffrir abominablement lors de cette mort tragique. Voici donc la liste des noyés de la Tinée et du Vallon de Mollières, trouvés à ce jour dans les registres:

– Jean Baptiste CIAIS, noyé le 06/05/1754 à l’âge de 45 ans
– Angèle Marie PUONS, noyée le 16/08/1754 à l’âge de 2 ans
– Marie Magdeleine LOQUES, noyée le 31/01/1756 à l’âge de 25 ans
– Barthélémy MASSEGLIA, noyé le 17/07/1758 à l’âge de 35 ans
– Martin BONAUD, noyé le 01/07/1761 à un âge non connu
– Louis Jean Baptiste BERGONT, noyé le 16/07/1761 à l’âge de 4 ans
– Antoine MASSEILLE, noyé le 13 messidor an VII à l’âge de 30 ans
– Pierre CARDON, noyé le 26/05/1803 à l’âge de 40 ans environ
– Jean Baptiste PUONS, noyé le 21 floréal an XIII à l’âge de 30 ans
– Joseph BOAS, noyé le 22/06/1811 à l’âge de 50 ans environ
– Andrea (André) BANES noyé le 24/05/1839 à l’âge de 28 ans