Traîtres à la patrie ? Une histoire de procès, de cousins… et de chariots

Vous vous souvenez peut-être de ces ancêtres bretons qui me détestaient (et leur sentiment ne s’est guère amélioré), mais ils se sont alliés à ceux du Nord. Aujourd’hui, un casse-tête généalogique s’est posé et le plus compliqué n’a pas été de trouver l’acte manquant, mais bien de comprendre les liens de parenté. Vous ne me croyez pas ? Vous allez voir en plongeant avec moi dans la révolution française chez les ch’tis.

En 1889-90, Henri Wallon a publié le tome 5 de son ouvrage « Les représentants du peuple en mission et la justice révolutionnaire dans les départements en l’an II ». Il y est évoqué un procès qui eut lieu en l’an III. Mais commençons par le commencement.

Robespierre est mort et la Terreur s’achève. Un soulagement pour beaucoup, certes, mais les procès continuent. A Douai, dans le Nord, la deuxième section du tribunal de la ville avait pour objectif de juger les émigrés mais aussi les « citoyens » accusés d’avoir administré les villes et villages occupés par l’armée étrangère, principalement celle d’Autriche. Cet acte constituait alors un crime puni de mort.

Mais nous l’avons dit Robespierre était décédé et le tribunal était devenu plus clément, même si cela n’a pas empêché, en juillet 1795, la torture et l’exécution de cinq Ursulines. Mais ceux accusés du crime de « traitrise envers la patrie » pour administration de villes occupées étaient le plus souvent relaxés, le tribunal comprenant le « cas de force majeure ». Cependant, un procès fit grand bruit : celui des notables de Valenciennes.

Pas moins de trente notables, qu’ils fussent magistrats ou employés du privé, furent accusés de traitrise. Parmi eux se trouvaient mon ancêtre Dominique Joseph Daulmery et un de mes « oncles » Pierre Joseph Melchior Flory.

Le 16 fructidor de l’an II ils furent entassés sur des chariots, comme n’importe quel criminel, et envoyés à Douai (à près de quarante kilomètres de distance !) où ils furent enfermés dans la maison des Annonciades, congrégation religieuse présente dans la ville depuis 1612.

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Pierre Joseph Melchior « l’aîné » Flory

Quelques jours après leur enferment ils rédigèrent , le  23 fructidor an II, une pétition adressée aux « représentants du peuple » dans laquelle ils expliquèrent leur rôle dans la défense courageuse de Valenciennes lors de l’invasion, défense qui succomba car les renforts de la république française ne s’étaient pas montrés. Ils racontèrent aussi que c’était sous la contrainte qu’ils durent continuer de gérer la ville. Enfin, ils écrivirent : « Nous ne demandons point grâce, nous ne demandons que justice ; qu’elle soit prompte et nos vœux seront comblés ».

Au mois de brumaire de l’an III, les détenus rédigèrent tout un mémoire sur l’histoire de leur administration dans lequel ils s’écriaient : « Criminels pour avoir consulté les intérêts de nos frères ! Robespierre l’eût pensé. On ne punit plus aujourd’hui que l’intention. » Ils profitèrent de cette occasion pour défendre d’autres fonctionnaires de Valenciennes, accusés dans d’autres procès ; « comme nous ils ont fait le bien ».

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Dominique Joseph Daulmery, avant l’ajout du « Rhoné »

Ainsi arriva le procès et le 27 frimaire de l’an III ils comparurent devant le tribunal, certains d’être acquittés – ou presque, et le plaidoyer d’un certain Thellier de Poncheville aurait achevé de prouver leur innocence. Ils furent reconnus comme ayant accepté les fonctions publiques sous l’occupation autrichienne mais le jury déclara que les accusés « n’étaient pas convaincus d’avoir eu l’intention d’enfreindre les lois de la République et d’êtres traitres à la patrie ».

Voici comment mon ancêtre, mon oncle et une trentaine de coaccusés furent innocentés.

Mais plusieurs choses ont attiré mon œil de généalogiste. Ainsi, Dominique Joseph Daulmery, négociant et maître orfèvre, et Pierre Joseph Melchior Flory, directeur des moulins de Valenciennes, étaient accusés ensemble alors qu’il n’y avait pas encore de lien de parenté. Le sieur Flory ne s’est ni marié ni n’a eu d’enfant mais sa sœur Antoinette est la mère d’Adélaïde Monchicourt qui elle, a épouse Auguste Patte fils de Victoire Daulmery elle-même fille dudit Dominique Joseph Daulmery.

En somme le petit-fils de Dominique Daulmery a épousé la nièce de Pierre Flory.

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Antoinette Barbe Flory, sœur de l’accusé

Mais ce n’est pas tout !

Pierre Flory avait une autre sœur, Cécile, qui est la mère de Cornélie Picavet elle-même l’heureuse mère d’Élise Yernaut qui a épousé Auguste Patte fils d’Auguste et d’Adélaïde Monchicourt.

En somme l’arrière petit-fils de Dominique Daulmery a épousé la petite-nièce de Pierre Joseph Melchior Flory. Et le marié est aussi le petit-neveu de Pierre Joseph Melchior Flory.

Épuisant, n’est-ce pas ?

Pour conclure sur l’aspect généalogique, il est bon de noter ici que les liens de parentés entre les familles du Nord ont toujours été importants notamment les alliances entre personnes d’un même milieu social. Cette affirmation est vraie dans toute la France mais c’est bien la première fois que je vois d’aussi forts liens matrimoniaux dans un même département, et avec autant d’enfants par couple qui survivent. Pour l’exemple, dans le précédent billet de ce blog, je vous ai parlé d’une de mes cousines, ancienne généalogiste. Elle descendait de trois des soeurs Flory par quatre branches, ses parents étaient cousins, deux de ses grands-parents étaient cousins et deux de ses arrière-grands-parents l’étaient aussi, tous du côté Flory. J’en profite pour saluer sa petite-fille, Astrid, qui a eu le courage de reprendre la généalogie faite par feue sa grand-mère et qui, tout comme moi, a bien besoin de cachets pour les nerfs afin d’arriver à mettre l’arbre généalogique familial en forme.

Ah… Sacrés ancêtres !… et cousins !… et oncles !… et etc.

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